Éco-anxieté

Vous le savez peut-être, je suis éco-anxieux et ce phénomène m'intérroge énormément. En Septembre dernier, j'avais été frappé par un article du Monde qui titrait que Les trois quarts des 16-25 ans dans dix pays, du Nord comme du Sud, jugent le futur « effrayant » (lire l'article sur Le Monde directement) et qu'un jeune sur deux serait éco-anxieux".

Si vous découvrez le concept, l'éco-anxieté est une souffrance psychologique mais attention, il ne faut pas la voir comme une maladie mais plutôt comme une étape transitoire et positive. Il s'agit d'un signal de défense, un système immunitaire qui fait monter la température et génère des anticorps pour réagir au mal qui l'attaque. Ce mal-être permet la remise en cause profonde qu'il est nécessaire d'opérer sur le monde et sur soi-même afin d'anticiper les cataclismes à venir (pour reprendre les mots savamment pesés du dernier rapport du GIEC). Il surgit lorsque le déni, la colère et la peur laissent leur place à la tristesse face à la perte de l'espoir d'une vie calme et paisible au "profit" de la perspective d'un monde incertain et chaotique.

La courbe du deuil

N'hésitez pas à lire l'article qui permet de mieux comprendre l'éco-anxieté et de prendre la mesure de l'état de notre jeunesse.

Pourtant, quand on est jeune, c'est l'inconscience qui domine généralement. La vie, les idéaux, les rêves et la confiance en l'avenir prennent le pas face aux peurs des conservateurs et des vieux réacs.

La prise de conscience et l'inconscience de la jeunesse semblent fondamentalement contradictoires.

Alors, pour quelles raisons les jeunes générations sont-elles plus touchées que les plus anciennes ?

Greta Thunberg, une des leadeuses de cette génération climat

La raison qui doit vous venir est certainement que les jeunes sont naturellement plus concernés par ce défi car ayant, en toute logique, plus de temps à vivre dans ce monde austère. Dès qu'on a accepté d'entendre les bilans et les inéluctables projections ou modélisations des climatologues, biologistes, ou dynamicien·ne·s, il devient alors impossible d'imaginer sereinement le monde dans 10, 20, 30 ans. Pourtant quand on a précisément ces âges, on passe son temps à construire sa vie, à lancer ou imaginer des projets de progrès, à idéaliser un monde meilleur. On comprend facilement que la perspective d'un monde cataclysmique peut figer et déstabiliser celles et ceux qui n'ont pas encore vécu par eux-même.

À quoi bon aller à la Fac quand tout semble compromis ? À quoi bon même envisager de fonder une famille quand le monde tend à s'effondrer ?

Ok. Je pense qu'on peut tous partager et comprendre ce constat mais pour moi, ce n'est pas suffisant pour justifier qu'autant de jeunes soient bloqués dans cet état et l'autre partie de l'équation se trouve derrière un mot probablement plus destructeur encore que la compréhension de la problématique :

L'abandon

Pour vous expliquer ce que j'entends par là, je vais vous raconter une histoire traumatisante et qui fut pourtant d'une grande richesse pour moi.

C'était en 2015, lors de You're Up, un rassemblement d'un peu plus de 15 000 jeunes scouts à Strasbourg. J'occupais en binôme avec Marion, ma femme, le rôle de maire de village qui consistait à garantir la logistique, la sécurité, l'animation de ce fameux "village" de plus ou moins 500 jeunes. Le rassemblement venait juste de commencer quand nous fûmes touchés par une mini-tornade en pleine nuit, vers 1h du matin. Jamais je n'avais été aussi vulnérable face aux éléments. Quelle force démente. Le vent avait litérralement arraché toutes les installations. Je me souviendrai probablement toujours de cette yourte qui s'était envolée à 5m de hauteur pour venir s'écraser au sol, de ces barnums professionnels, pourtant solidement attachés qui s'arrachaient comme des vulgaires tonnelles, ces piquets et autres matériaux projetés qui me frolaient dans une obscurité aveuglante. La pluie tombait en trombe quasiment à l'horizontale, me giflait tout le corps et ce vent me faisait tomber à terre. Il m'avait fallu une trentaine de secondes pour que ma femme et mes 2 enfants se rappellent à moi et me fasse rebrousser chemin, moi qui avait couru dans l'autre sens guidé par l'instinct de sauver ma peau. Telle une injonction au courage, le souvenir de mes rôles de père et de maire du village m'avait transcendé, donné la force de refaire 100m face à ce vent ravageur et de retrouver dans l'obscurité totale ma tente applatie, écrasée par la brutalité du vent. Ma femme, tenait dans ses bras et face au sol nos 2 enfants. Personne ne pleurait tant ce qui se passait était violent et intense, il n'y avait que du désarroi.

Très vite, le plan s'est dessiné dans ma tête, la première étape était de mettre en lieu sûr les enfants et le seul endroit était une voiture garée à quelques mètres. Le vent, la pluie ne faiblissaient pas mais je devais ressortir pour aller chercher les clés de la voiture dans ce qui restait du barnum central éventré. Après quelques longues minutes, je finis par les trouver et je pus sécuriser les enfants. Pour avoir travaillé avec les autres maires de village sur des scénarios similaires, je savais que le Zenith à proximité pouvait être réquisitionné et qu'il allait falloir organiser le convoi des 15000 jeunes. J'avoue que lorsqu'on avait travaillé sur ces scénarios de crise, je ne les avais pas vraiment pris au sérieux, je m'étais même dit que c'était un peu inutile. Quand la tempête commença à se calmer, je sortis pour accompagner les premiers jeunes qui sortaient également de leurs tentes. Le silence du Talky était difficile à accepter. Pourquoi l'organisation générale de l'événement ne disait rien ? Quand arriva l'ordre d'évacuer vers le Zenith, ce fut une sorte de délivrance, j'allais enfin pouvoir guider et rassurer les jeunes dont j'étais responsable. Alors, on a organisé l'évacuation de 15000 jeunes adolescents vers le Zénith de Strasbourg en pleine nuit. Quasiment personne ne dormit cette nuit-là mais même si ce fut difficile à vivre pour quelques jeunes, la quasi-totalité chantaient et plaisantaient de la situation. Lorsque l'heure du constat et de la reconstruction du "village" arriva, je me suis personnellement effondré en sanglots. J'étais fatigué, bien sûr, j'étais reconnaissant d'avoir pu réagir comme je l'avais fait mais j'avais absorbé une pression gigantesque et ça retombait enfin. À ce moment, j'ai eu la chance de d'avoir des épaules sur lesquelles pleurer mais surtout des personnes à qui parler et notamment Anne, une pédo-psychiatre qui m'expliqua pourquoi j'avais été aussi secoué et pourquoi les jeunes, non.

En tant que responsable de village, j'avais pris sur mes épaules la peur de ces 500 jeunes dont j'étais responsable. J'avais organisé avec mon équipe évidemment et en relation avec l'équipe pilote de l'événement la mise en sécurité et c'est parce que les jeunes avaient vu et compris que nous, adultes étions aux commandes, qu'ils n'avaient pour la plupart, pas eu peur et qu'ils n'en resteraient pas traumatisés.

Les jeunes ont fini leur nuit au Zenith qui avait réquisitionné en urgence suite au passage de la tornade sur le lieu du rassemblement.


Mais dans la tempête qui s'annonce, les jeunes générations comprennent que ce n'est pas sous contrôle. Elles voient que celles et ceux qui sont aux commandes n'agissent pas comme il le faudrait. Pire, elles entendent fréquemment que « c'est leur problème », « que la vie des boomers est derrière eux ». Ce désengagement des générations du dessus (40-60 ans) est pour moi un catalyseur clair de l'éco-anxieté des jeunes qui, désignés comme les sauveteurs du monde se sentent minuscule et bien impuissants.

Et maintenant, si vous avez encore quelques minutes, je vous laisse avec un peu de poésie :

Source de l'étude sur l'éco-anxieté : https://www.lemonde.fr/climat/article/2021/09/14/climat-les-trois-quarts-des-jeunes-jugent-le-futur-effrayant_6094571_1652612.html