La liberté, le plus grand des communs !

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est la révolution française qui a mis le bazar dans les communs. À cette période, les communs étaient des espaces partagés où chacun pouvait pâturer son bétail, puiser de l'eau, cultiver des légumes y laver ses vêtements... Le fameux code civil a quasiment mit fin aux communs en faisant de la propriété privée un axe majeur pour ne pas dire une priorité.

Bien sûr, tous les révolutionnaires ne souhaitaient pas cela : les sans-culottes, qui étaient principalement des travailleurs urbains pauvres, les gilets-jaunes de l'époque, avaient souvent une vision plus collective de la propriété. Ils étaient plus intéressés par des questions comme l'égalité économique et la justice sociale que par le strict droit de propriété privée. Néanmoins, leur influence sur la législation et la politique de l'époque était limitée par rapport à d'autres groupes plus puissants. Dans la même veine mais moins connus, on a aussi les Enragés, un autre groupe du même genre en plus radical, qui critiquaient également la montée de la propriété privée et l'accumulation de richesses par une petite élite. Ils prônaient une répartition plus équitable des ressources et étaient souvent en opposition avec les macronistes, heu les "modérés" qui dominaient l'Assemblée nationale.

Autrement plus intéressant que les Danton ou Robespierre qu'on nous rabache dans chaque film sur l'époque, j'aimerais vous parler des débats intellectuels autour de ces questions de société et particulièrement de l'esprit génial de Gracchus Babeuf et de ses contributions à la "Conjuration des Égaux" qui avait tout compris de ce qu'il était en train de se passer et notamment l'imposture du nouvel ordre capitaliste. Lui cherchait à abolir la propriété privée en faveur d'une gestion collective des ressources. Voici un extrait du manifest de la conjuration des égaux :
« Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. […] Qu'il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront pas croire ! Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés. […] L'instant est venu de fonder la République des Égaux, ce grand hospice ouvert à tous les hommes. […] L'organisation de l'égalité réelle, la seule qui réponde à tous les besoins, sans faire de victimes, sans coûter de sacrifices, ne plaira peut-être point d'abord à tout le monde. L'égoïste, l'ambitieux frémira de rage. »
extrait du "Manifeste des égaux"
Il sera guillotiné. Hop.
On connait la suite, avec l'industrialisation et l'avènement du capitalisme, ces espaces ont quasiment tous été privatisés, marquant un recul pour ne pas dire une disparition des communs dans notre société avec les effets que l'on connait, le monde de la paysannerie contraint à l'exode rural, l'industrialisation et l'individualisation de la société, la bourgeoisie qui se développe, l'accroissement des inégalités.
Commun démocratique : privation moderne
Qui aurait prédit à la fin du 20ème siècle, que la démocratie serait menacée aussi vite.
Pourtant ce qui se joue aujourd'hui avec Trump, Poutine, Netanyahou, Musk, Orbán, XI Jinping, Kim Jong-un et bien d'autres n'est pas simplement une dérive autoritaire de plus dans l'histoire mais bien la privatisation ultime d'un commun fondamental : l'espace démocratique. Comme les terres communes ont été sorties du droit commun au profit de quelques propriétaires, nous assistons à la déchéance du pouvoir du peuple. Partout sur Terre semble résonner le slogan "Tous pourris", la politique semble vidée de sons sens et semble être un système visant à transformer le pouvoir démocratique en capitaux, en outil d'accumulation personnelle de richesse, de contrôle et d'influence. En france, les slogans Liberté, Égalité, Fraternité ne veulent plus rien dire, les riches n'ont jamais été si riches, les inégalités si grandes autant de pauvres en France (9.8M de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France).
Musk achète X et transforme une agora numérique en terrain privé où il dicte les règles et influence directement les élections en servant de marche pieds au fou de la maison blanche. Justement, Trump préside la première puissance mondiale comme une entreprise familiale, joue avec la bourse, les médias et le feu des conflits du monde tout en se proclamant en permanence et le plus sérieusement du monde qu'il mérite le prix Nobel de la paix — une revendication aussi grotesque que révélatrice d'un système où les plus puissants s'attribuent les symboles de légitimité sans en respecter les valeurs. Poutine et Orbán confisquent les institutions républicaines pour en faire des extensions de leur pouvoir personnel. Netanyahou mène son petit génocide pour venger son peuple en exterminant le peuple voisin. Comment arrêter ces males alphas de 75 ans.
En éliminant la démocratie et en accaparant tous les pouvoirs, le fascisme se transforme en néo-féodalisme devant nos yeux.
L'imposture médiatique et l'affaire Sarkozy
Cette confiscation du commun démocratique trouve un écho particulièrement révélateur dans l'actualité française récente. Nicolas Sarkozy, ancien président condamné à plusieurs reprises par la justice, va finalement goûter à la prison après avoir longtemps cru pouvoir y échapper. La réaction d'une partie de la bourgeoisie et de la classe politique est édifiante : cris au scandale, à l'acharnement, à "l'assassinat politique" même. Une inversion totale de la réalité.
Comment en est-on arrivé là ? En grande partie parce que l'intégralité ou presque des médias français sont détenus par des milliardaires qui défendent leurs intérêts de classe plutôt que l'intérêt commun. Bolloré, Dassault, Drahi, Niel, Arnault... Chacun possède son empire médiatique, chacun façonne la narration publique selon ses intérêts. L'information elle-même, ce commun essentiel à toute démocratie, a été privatisée.
Quand un ancien président corrompant des magistrats, finançant illégalement ses campagnes et abusant de la faiblesse d'un milliardaire pour obtenir des financements occultes est finalement condamné à de la prison ferme pour association de malfaiteurs (dont il en était le chef de la bande faut-il le rappeler), ce n'est pas une victoire de la justice que l'on entend dans les médias comme cela devrait être le cas, c'est un acharnement. Comme cela avait été le cas d'ailleurs lors de la condamnation du rassemblement national pour l'affaire de détournement de fonds publics. Voilà l'illustration parfaite de ce que Babeuf dénonçait : "l'égoïste, l'ambitieux frémit de rage" face à l'application de règles qui devraient s'appliquer à tous.
La configuration médiatique française actuelle n’est pas unique, mais est l’une des plus caricaturales d’Europe occidentale en matière de concentration médiatique privée, avec l’Italie. Même le service public est désormais sous influence politique. Les citoyens ne partagent plus un espace commun d'information où confronter des perspectives diverses — ils sont enfermés dans des bulles narratives contrôlées par des oligarques. Le pluralisme, ce commun informationnel indispensable, s'effondre sous le poids des intérêts privés.
Alors quels communs aujourd'hui ?
Aujourd'hui, même si sont rares les médias indépendants, les puits en libre accès dans nos communes ou les lieux ouverts à toutes et tous, il reste tout de même quelques communs difficiles à privatiser comme nos rivières ou certains pâturages.
Ce n'est évidemment pas suffisant et je rêve chaque jour de réhabiliter ou de développer les communs dans notre société qui s'effondre. Il s'agit des terres ou de ressources naturelles qu'il faut mutualiser mais également des connaissances, des logiciels, des système d'information... Comme le dit Richard Stallman, un des pères du logiciel libre : "Le logiciel libre est une question de liberté, pas de prix". Et la liberté, mes amis, est le plus grand des communs !
Le logiciel libre est à internet ce que la décroissance est au changement climatique : une nécessité.
Il s'agit de dire : "Ce que nous construisons appartient à tout le monde et doit bénéficier à tout le monde". C'est un peu comme si on réintroduisait des terres communes dans le paysage numérique, en disant : "Venez, pâturons ensemble dans ce nouveau monde de possibilités !"
Comme le concept de "décroissance", le "logiciel libre" est souvent mal compris comme étant incompatible avec la viabilité économique ou comme une menace pour la propriété intellectuelle. Pourtant, c'est complètement faux et même si l'argent n'est pas le seul vecteur de valeur, voici quelques arguments concernant l'aspect économique :
- Le logiciel libre ne signifie pas "gratuit" ou "entierement gratuit". Une entreprise peut tout à fait développer une offre de service, support technique, personnalisation, formation qui peuvent être très lucratifs. Souvent, on a également une licence "enterprise" qui est propriétaire et qui est addosée à la licence "community" (libre). Des entreprises comme Red Hat et Canonical en sont des exemples parfaits, générant des revenus substantiels en fournissant des services autour de distributions Linux open source.
- Un logiciel libre "qui perce" crée un écosystème dynamique où la qualité et la performance sont constamment améliorées, bénéficiant à tous les utilisateurs et stimulant l'industrie logicielle dans son ensemble. Voilà un sérieux gain pour une entreprise qui se montrait autour d'un logiciel libre.
- Concernant la propriété intellectuelle, le logiciel libre utilise des licences comme GPL, Apache, et MIT, qui protègent légalement le droit d'auteur tout en permettant la distribution et la modification. Les créateurs de logiciels se bâtissent une solide réputation, gagnent en visibilité, réseau d'où découlent des opportunités commerciales.
- Le choix des institutions européennes et française de privilégier les logiciels libres pour leurs prestataires est le reflet d'une stratégie à long terme visant à promouvoir la transparence, la sécurité et la souveraineté numérique (ISA²). En France, par exemple, la Direction interministérielle du numérique (DINUM) encourage l'utilisation de logiciels libres dans l'administration publique. Cette politique crée un marché potentiel important pour les entreprises qui développent et soutiennent des solutions open source.
Si vous créez un logiciel, réfléchissez à votre raison d'être. Est-ce qu'en ouvrant votre code, vous auriez plus d'impact ? Quel avantage compétitif gagneriez-vous en annonçant à votre communauté la libération de votre code !

Et je finirais en citant Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie en 2009 : "Les êtres humains ont une capacité plus que prouvée à ériger des règles efficaces pour gérer les communs".
Soyez audacieux⋅ses, osez la coopération, choisissez les communs ou créez-les ! Il n'y a que ça àa faire de toute façon.
...
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard