Prenons le temps qu’il faudra.

Ce soir, je ne travaille pas, je n'ai pas la tête à ça. Je dois essayer de mettre des mots sur ce que je viens de vivre cette semaine, le déchirement de liens familiaux à cause de nos modes de vie, de notre engagement militant et de l'incapacité, certainement mutuels, à les respecter.

Cette histoire n'est pas nouvelle, j'avais vu nos chemins lentement se séparer; il aurait fallu être aveugle pour ne pas le ressentir. J'avais parlé dans un précédent article (Les larmes aux yeux) et avec Marion dans un podcast de la complexité à se taire pour préserver les relations avec nos proches. Dans le podcast de juin même, nous nous étions donné comme objectif de tenter d'organiser un temps de sensibilisation aux enjeux climatiques avec l'animation d'une fresque du climat et à minima d'une bonne discussion pour mieux être compris au sein de nos familles. Nous n'en avons pas eu l'occasion et ce que nous pressentions nous a éclaté au visage. S'ils les liens du sang m'interrogeaient, je ne pouvais pas envisager pour autant les briser et je ne m'attendais encore moins à ce que la rupture vienne de l'autre côté, qu'elle soit aussi déchirante et qu'elle me dévaste à ce point.

Je vais alors raconter cette histoire, non pas pour incriminer qui que ce soit, mais pour faire avancer celles et ceux qui vivront peut-être demain les mêmes épreuves. Ce message a également une vocation thérapeutique pour moi et j'espère que j'y trouverai une fin positive et encourageante.

La semaine dernière, en vacance, les parents de Marion ont tenté de faire "réagir" leur fille, ma femme, sur le danger que je représentais pour elle. Les propos m'ont été rapportés, mais à leurs yeux, je tiens des propos dévalorisants envers elle et j'exerce une emprise psychologique sur elle. De plus, toujours à leurs yeux, je ne suis pas suffisamment présent pour les enfants et lorsque je suis là, c'est pour la rabaisser devant eux. Nous avions déjà essuyé des remarques sur l'éducation et les soins que nous donnions ou non à nos enfants sans que cela ne nous ébranle. Cette fois, impossible de ne pas vaciller face à ces nouvelles accusations. Le fait qu'une partie de ces remarques aient été dites en présence des enfants et en mon absence y a joué un rôle évidemment aggravant. Comment ne pourrais-je jamais accepter ce genre d'accusations ? Le pourriez-vous ? Comment Marion, de son côté, aurait-elle pu laisser passer des propos aussi dégradants ?

Avec 5 enfants et après 15 ans de vie commune, on se connait par coeur et on est à l'épreuve de pas mal de types de flammes. On est à peu près habitué à l'épreuve du quotidien :

  • l'éprouvant marathon d'être les papa & maman de 5 enfants créatifs, entre les devoirs, les repas, les lessives, le scoutisme, le sport, le dessin...
  • le difficile fardeau de porter nos engagements personnels à contre-courant d'une société hyper individualiste, court-termiste, où le déni est assumé par une grande majorité, où le premier venu ne voit rien de plus logique que de te placer dans la catégorie du bobo écolo qui plane
  • l'exposition politique où l’on doit accepter d'être plus malin que le droitiste dominant qui te méprise du haut de sa grosse voiture, ses projets de Golf, ses projets "sérieux" d'artificialisation des sols.

Mais voilà désormais qu'on se fait désavouer par celles et ceux qui sont au plus près du cœur. Pour moi, je m'en rends compte après quelques jours, je le vis très mal. Ces gens étaient ma famille d'adoption. Je ne les ai pas choisis, mais je les ai aimés. Malgré ces choix de vie que je ne comprenais plus, malgré les sérieux mauvais caractères, je savais reconnaitre en eux leurs nombreuses qualités. Comment peuvent-ils penser ce genre de choses de moi ? Quel monstre pensent-ils que je suis ? Et quel malheur doit les habiter de penser que leur fille est comme une femme battue, maltraitée, sournoisement... psychologiquement. Je sais, il y'a pas mal d'hommes que ça a fait réagir la dernière fois que j'ai avoué avoir pleuré, mais c'est le cas, désolé si je déshonore une nouvelle fois la gente masculine et si "je ne donne pas envie" comme on me l'a gentillement fait remarquer, mais oui, ce soir j'ai beaucoup pleuré.

Ironie de l'histoire, ce soir, j'ai appelé ma sœur pour la prévenir qu'à cause de cette histoire, nous ne viendrons finalement pas lui rendre visite début août. En effet, nous devions laisser nos enfants aux parents de Marion pendant que nous, comme deux jeunes amoureux sans enfants, nous irions faire un petit morceau de randonnée ensemble, nous tenant par la main, profitant du silence et du calme de la montagne, le temps d'un bivouac. Je me suis effondré en lui expliquant qu'on s'était "fâché avec les parents de Marion", que Marion avait "perdu" ses parents... C'est ironique, je retrouve cette sœur aujourd'hui alors qu'on ne s'est plus parlé depuis une quinzaine d'années, nous étions-nous aussi fâchés. À cette époque, j'avais 20 ans, je ne comprenais pas son mode de vie décroissant ariégeois, elle ne comprenait pas le mien, celui d'un jeune un peu perdu qui enchainait les trucs un peu cons d'un jeune qui se cherche. Aujourd'hui, je me reconnais en elle, son histoire, son mode de vie simple m'invite à l'humilité et au pardon.

Si ma belle famille tombe sur cet article, j'imagine que cela ne leur plaira pas et sans doute même qu'aujourd'hui, cela ne ferait qu'exacerber le sentiment qu'elle nourrit à mon égard. Néanmoins, ma sœur m'a dit que nous saurons, un jour, trouver le temps du pardon et des retrouvailles: "Nous avons également perdu pas mal de temps tous les deux" m'a-t-elle glissé avec un sourire bienveillant dans la voix.

Puisse cette étape nous permettre de mieux nous connaitre et nous respecter. Se rapprocheront-ils un jour de notre mode de pensée. Peut-être qu'au contraire, fragilisés par tant d'échecs, nous abandonnerons le combat de nos valeurs. Peut-être aussi qu'on se rendra compte un jour que nous nous trompions totalement, que nous n'étions que des fous aveuglés par une idéologie... Quand tout semble fou autour de soi et qu'en fait, on est le vrai fou de l'histoire, comment le sait-on ?

En tout cas, nous surmonterons cette nouvelle épreuve et tenterons d'apprendre de nos erreurs. Peut-être notre podcast a-t-il été la goutte d'eau qui fit déborder le vase de notre relation. Nous n'avions évidemment aucune intention de blesser qui que ce soit par ce podcast, nous voulions seulement donner à notre faible audience de l'inspiration pour passer à l'action, communiquer sur nos propres actions plus ouvertement également... je constate avec tristesse que cela a certainement été trop difficile pour eux, certainement stigmatisant et jugeant, un réel acte de désaveu insupportable. Je me rends compte également que je faisais aussi un bon coupable à leurs yeux, après tout, c'est humain de tenter d'identifier la "mauvaise influence" lorsqu'on ne comprend plus son enfant. Je crois que je ne leur en veut pas du tout.

J'ignore combien de temps cette séparation durera mais elle aura le mérite de nous permettre de vivre plus sereinement, de part et d'autre. Je regrette que nous n'ayons pas réussi à choisir une voie plus sereine néanmoins tentons de profiter de cette nouvelle période qui s'ouvre pour vivre loin des regards et choix en décalage qui nous irritent mutuellement. Faisons les choix qui s'imposent à nous, qui nous rendent heureux et essayons de ne pas nourrir les sentiments de colère et d'injustice que cet événement a pu faire émerger. Prenons-le temps qu'il faudra.